CJUE, grande chambre, 3 juin 2025, aff. C-460/23 [Kinsa] 

Dans un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré qu’un parent ou un tuteur qui accompagne des mineurs, sous sa garde effective et les fait entrer irrégulièrement, ne commet pas l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière prévu par le droit de l’Union. Cet acte n’est pas considéré par la Cour comme un acte de soutien à l’immigration irrégulière à combattre, mais bien l’exercice légitime de la garde parentale.

Le droit de l’Union s’oppose donc à une législation nationale réprimant pénalement ce comportement.

Dans cette affaire, qui pourrait avoir des conséquences sur le droit interne français, une ressortissante congolaise était entrée illégalement sur le territoire italien accompagnée de sa fille mineure et de sa nièce, également mineure et dont elle avait la garde effective depuis le décès de la mère, en se présentant à la frontière aéroportuaire de Bologne avec de faux passeports. Arrêtée, elle a été poursuivie pour aide à l’entrée irrégulière.

Remarque : elle avait présenté peu de temps après une demande de protection internationale au titre de l’asile. Elle avait déclaré « avoir fui son pays d’origine pour se soustraire aux menaces de mort dont elle et sa famille faisaient l’objet de la part de son ancien compagnon » et craindre « pour l’intégrité physique des mineures qui l’accompagnaient ».

Dans le cadre de la procédure initiée à l’encontre de celle-ci, une juridiction italienne (le tribunal de Bologne) a posé à la CJUE la question de savoir si un comportement tel que celui en cause en l’espèce relevait de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière au sens du droit de l’Union et s’il pouvait être pénalement réprimé.

La Cour rappelle en premier lieu qu’un acte de l’Union européenne doit être interprété en conformité avec l’ensemble du droit primaire, notamment avec les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. En l’espèce, ce sont les articles 7 (droit au respect de la vie familiale), 18 (droit d’asile) et 24 (droits de l’enfant) qui « revêtent une importance déterminante pour répondre aux interrogations » de la juridiction de renvoi.

Plus précisément, la CJUE devait alors s’interroger sur le fait de savoir si l’article 1er paragraphe 1 sous a) de la directive 2002/90, définissant l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière, lu à la lumière des articles 7, 18 et 24 de la Charte, devait être interprété en ce sens que le comportement d’une personne qui, en violation du régime de franchissement des frontières, fait entrer sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective, relève bien de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière.

Remarque : selon l’article 1er de la directive 2002/90 du 28 novembre 2002, chaque État membre doit adopter des sanctions appropriées « à l’encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d’un État membre à pénétrer sur le territoire d’un État membre ou à transiter par le territoire d’un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l’entrée ou au transit des étrangers ».

En l’occurrence, la Cour estime qu’une telle interprétation ne peut être retenue. En effet, selon elle, un tel comportement ne constitue pas une aide à l’immigration clandestine, que la directive 2002/90 a pour finalité de combattre, mais résulte de la prise en charge, par l’intéressée, de la « responsabilité personnelle qui lui incombe au titre de la garde qu’elle exerce à l’égard de ces mineurs ».

Ainsi, considérer que ce comportement relève de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière y compris lorsque la personne concernée est, elle-même, entrée irrégulièrement sur ce territoire « entraînerait une ingérence particulièrement grave dans le droit au respect de la vie familiale et des droits de l’enfant, consacrés, respectivement, aux articles 7 et 24 de la Charte, au point qu’elle porterait atteinte au contenu essentiel de ces droits fondamentaux, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ».

Au regard de l’interprétation du droit de l’Union par la CJUE, un comportement, tel que celui de l’intéressée, ne peut, en conséquence, être pénalement réprimé par les législations nationales.